Traite d’êtres humains dans les vignes. « Ils nous ont vendu un mirage » : des peines fermes requises contre les époux
Des ouvriers agricoles originaires du Maroc, se portant parties civiles dans une affaire de traite d’êtres humains, ce mercredi dans la salle des pas perdus, à Bordeaux. © Crédit photo : J.-C. G.
Publié le 26/03/2025 à 21h39.
Mis à jour le 26/03/2025 à 22h10.
Dans une affaire rassemblant près d’une trentaine de victimes, trois et deux ans de prison ferme ont été requis à l’encontre d’un couple franco-marocain, prévenu de traite d’êtres humains dans le Sud-Ouest, ce mercredi 26 mars
Signe qu’elles se multiplient, les affaires de traites d’êtres humains ont désormais leur abréviation : les TEH. Ce mercredi 26 mars, la première chambre correctionnelle de Bordeaux continuait de se pencher sur l’une d’entre elles. Un dossier bien volumineux opposant 28 saisonniers agricoles marocains et une entreprise familiale qui, durant plus de deux ans de 2022 à 2024, a engagé des travailleurs du « bled » pour les employer, via deux sociétés de prestation de services girondines, dans des exploitations du grand Sud-Ouest. Pour obtenir leur contrat de travail, les plaignants disent avoir déboursé une somme considérable (souvent 12 000 euros) à des intermédiaires en lien avec les principaux prévenus, en échange de l’assurance de toucher le smic, d’être hébergés ou motorisés et, surtout, de « la promesse d’une carte de séjour de trois ans » pour continuer de travailler sur le sol français.
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« Ils nous ont vendu un mirage », résume Abderrahim, l’une des victimes. Une quinzaine de Marocains ont défilé à la barre ce mercredi, racontant brièvement leurs conditions de vie dans ce pays d’accueil où les exploitations agricoles souffrent cruellement d’un manque de main-d’œuvre. Dans leur logement lot-et-garonnais, à Aiguillon ou Damazan, parfois sans eau chaude ou gaz, « on vivait les uns sur les autres », confie Moussa, père de quatre enfants : « Nous étions quatre dans la salle à manger, quatre dans la chambre. »
« Dépendance des victimes »
À son arrivée, Anas explique avoir dormi sur un matelas dans la cuisine. Titulaire d’une licence en gestion des entreprises, il raconte, dans un français impeccable, son quotidien : « On est venus pour travailler et fermer nos bouches. » De juin 2023 à décembre 2024, avec des journées « de dix heures », il aurait touché un peu plus de 4 800 euros, loin de « la vie en rose promise » et des salaires attendus.
« Un cas d’école de traite d’êtres humains avec une contrainte absolue par la dette, le logement ou par les menaces »
Il s’agit d’un « cas d’école de traite d’êtres humains avec une contrainte absolue par la dette, par le logement ou par les menaces », insiste l’avocate Jessica Lacombe, représentant 17 victimes dans ce dossier. Ophélie Berrier, défendant un autre plaignant, lance un parallèle avec les affaires de proxénétisme : cette même « dépendance des victimes à qui on fait miroiter un eldorado » et « la différence entre ce qu’elles imaginent et la réalité crue de ce qu’elles découvrent ».
Les six prévenus, longuement interrogés mardi, ont nié en bloc, tout au long de la journée. Parmi eux, ce sont surtout Amal, 43 ans, la Girondine et son mari marocain Chahid, 37 ans, placés en détention depuis décembre dernier, qui font figure de tauliers de l’organisation : lui aux manettes du recrutement, elle aux formalités administratives. Les deux ont fait travailler leur famille respective.
« Une imposture »
Dans leurs plaidoiries, les avocats des époux soufflent l’étonnement, même une certaine colère face à ce qu’on leur reproche. Dans la matinée, chacun leur tour, des saisonniers se sont pourtant succédé à la barre, pour donner une version très unanime. Mais sur leurs versements présumés et une possible « extorsion de fonds pour enrichir le couple », l’avocate Nadjet Zaghrir ne retrouve « aucun élément », seulement des « supputations et des déclarations qui ne sont pas confirmées ». « L’argent, on va le retrouver dans l’imaginaire de l’accusation mais on ne le voit jamais », tonne Alexandre Novion, selon qui « le nombre [de plaignants] n’est qu’un confort mais ne fait pas une preuve ».
Les deux conseils déplorent des lacunes dans l’enquête, un manque de moyens, une absence d’information judiciaire. Nadjet Zaghrir rappelle l’absence du frère de Chahid, ciblé comme « l’intermédiaire » privilégié entre le couple et les ouvriers au Maroc. C’est lui qui aurait été destinataire de nombreuses sommes, certains virements en attestent : « Tout ce dossier parle de Youssef qui n’est pas présent dans cette salle ! » « C’est une imposture, cette affaire ! » s’emporte Alexandre Novion, qui pointe un « état de clonage dans les dépositions des plaignants » et selon qui le président d’une association d’aide aux travailleurs saisonniers marocains, ayant servi d’interprète lors de dépositions, aurait fait du « coaching » et eu de « l’emprise » pour que ce groupe de victimes se constitue. En définitive, selon l’avocat, il s’agit « d’accusations mensongères afin d’obtenir des titres pour rester plus durablement en France ».
Une théorie que ne partage pas le procureur de la République Pierre Arnaudin. Le représentant du ministère public a notamment requis trois ans de prison à l’encontre d’Amal, dont le casier judiciaire fait état de plusieurs mentions, et trois ans de prison dont un avec sursis pour Chahid. Les préjudices, annoncés par les avocats de la partie civile, se chiffrent en centaines de milliers d’euros. Le tribunal rendra sa décision ce jeudi 27 mars dans l’après-midi.